La grande démission

L’objectif n’est pas de parler ici de la grande démission parce que je pense que c’est un sujet qui est encore trop frais et extrêmement complexe à analyser. Il est vrai qu’en Occident, il y a cette fameuse grande démission, mais je pense qu’il y a des caractéristiques et des logiques propres à chaque pays qui ne sont pas toujours comparables. Il y a toutefois un point commun évident, c’est la quête de sens, le questionnement qui se pose depuis des décennies sur le rapport au travail.

Et lorsqu’il y a 3 000 000 000 d’individus qui se retrouvent bloqués chez eux pendant deux mois, et que l’on arrête le train à pleine vitesse d’un seul coup, et bien forcément on se pose plein de questions : des bonnes et des mauvaises. Pour les bonnes, il y a les bonnes réponses. Pour les mauvaises, il n’y a pas toujours de réponses adéquates.

Le Covid comme point de départ ?

Evidemment, il s’est passé quelque chose de fondamental avec le Covid et le premier confinement mondial. Lorsque tout s’est arrêté, on s’est posé des questions : « Mais pourquoi je bosse ? À quel prix ? Pourquoi je me tracasse comme ça ? Pourquoi j’ai mal au ventre ? Pourquoi j’ai la boule au ventre le lundi matin ? Pour être payé comme ça, pour être reconnu comme ça, etc. » En fait, ce questionnement du collaborateur, il existait déjà avant, mais il était caché par une course effrénée. Le travailleur moderne n’a pas le temps de prendre le recul nécessaire, faire ce pas de côté, et ces deux mois ont été positivement redoutables.

Je pense qu’aucun système n’avait prévu l’accélération de ce questionnement d’où germent les racines de la grande démission.

Les chiffres sont impressionnants. On parle de 470 000 démissions par trimestre depuis février 2021. 470 000 personnes qui démissionnent en France ! L’hémorragie est partout en Occident, aux Etats-Unis. C’est incroyable et on ne peut pas dire qu’aux Etats-Unis, socialement, on soit autant protégés qu’en France. Donc c’est un vrai phénomène. Je ne vais pas m’intéresser au phénomène parce que d’abord je pense que je n’en ai pas la compétence. Je suis comme tout le monde, un simple spectateur. Je n’ai évidemment pas la réponse. Il n’y a pas que le sens pour expliquer ce phénomène, c’est beaucoup plus profond que ça. Je ne veux pas dire non plus que le sens n’a pas de profondeur, évidemment.

De la difficulté de recruter des commerciaux

En revanche, ce que je voudrais faire, c’est le parallèle de la grande démission avec le problème de recrutement sur les fonctions commerciales et la pénurie des commerciaux qui existe en France. On rejoint un mécanisme identique. Il y a évidemment le sens, mais fondamentalement la structuration, la modélisation économique des entreprises, les objectifs, les indicateurs de performance, toutes ces choses qui sont des termes parfois abscons et un peu barbares, mais en fait qui cachent une triste vérité, celle qu’il n’y a pas de vision car on est dans l’immédiateté. Un commercial a besoin d’objectifs et pas d’objectifs court termistes, mais bien des objectifs de vision. Pour qu’il mette de l’énergie à faire de la conquête de territoires, il a besoin d’avoir presque un plan quinquennal, voire même un plan Marshall pour faire la petite blague.

C’est justement parce qu’on est complètement dans ce fonctionnement d’immédiateté valorisant les temps courts, et qu’on est plus dans un capitalisme de bon père de famille, avec du prévisionnel sur des temps longs, que ces structures sont en fait très light, couvert d’indicateurs par ci par là, mais en fait on ne travaille pas sur le fond du sujet : le manque de structuration commerciale, les performances à venir d’une entreprise, l’immédiatement au détriment de l’accompagnement, etc.

Aucun commercial n’aime la prospection

Ce qui est intéressant, c’est que le commercial n’est pas réfractaire à aller chercher du business, c’est pas qu’il ne veut pas aller prospecter. C’est qu’ il n’y croit pas. Je ne connais que deux personnes, je ne citerai que leur prénom, ils se reconnaitront. Morgan et Mickael. Ce sont les seules personnes que je connais depuis 25 ans d’expérience qui aiment la prospection. Personne n’aime la prospection. Personne ne dit « Oh super, je vais aller prospecter aujourd’hui ». Les gens acceptent la prospection comme une contrainte. À partir du moment où il y a un objectif derrière, il y a une vision, il y a une ambition. Là aujourd’hui, c’est précisément ce point qui est défaillant . Le manque de structuration et le manque de vision commerciale, bien évidemment, sont en partie des explications de la grande démission des commerciaux. Alors, pour la grande démission qui est générale, on retrouve aussi cette question de vision et cette question court termiste. Donc je pense que pour remettre du sens et de la performance, il ne faut plus faire des objectifs à un an, il faut faire de la prévision. Malheureusement, ce n’est pas le sens de l’économie, mais c’est à nous de revoir tout ça. C’est à nous de changer le timing souvent imposé par le modèle de nos amis Américains.